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Le week-end de la Toussaint sur le Haut Allier

1er au 3 novembre 2013

Par Olivier C.

65 km d'Allier rien que pour nous

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Antoine (notre invité ACBBiste), Denis, Julie, Mary, OlivierC, Yann

Vendredi

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Vendredi 1er novembre 2013, base nautique de l'Île Monsieur, six heures trente du matin : six ombres se glissent dans le Master de l'ASK.

Denis s'empare courageusement du volant ; Yann et ses deux mètres envahissent les trois sièges du dernier rang, et les autres se serrent sur les places restantes. « Direction l'Allier ! » s'exclame-t-on en chœur en voyant une à une les barrières de la base se lever : serait-ce un départ sans anicroche ?

Un bruit sourd nous détrompe immédiatement.

Tiens ! la remorque n'est plus accrochée au camion ! « Ah oui, se souvient candidement OlivierC : j'ai juste posé le timon sur la boule, le temps de remonter la roue jockey. Il restait à l'enclencher. Je pensais que vous le verriez. M'enfin… ».

Plus de bruit que de mal : le câble électrique n'est même pas vraiment arraché. Les participants à la sortie auront même l'occasion de s'esbaudir lors des tests des feux de la remorque : « wouahou : une remorque avec tous les feux qui marchent ! y compris les clignotants ! Et même la marche arrière ?? Je n'avais jamais vu ça ! » [ben oui, mais c'est parce qu'il n'y a qu'un Vincend, et qu'il ne répare qu'une remorque par an, NDLR]

« Direction l'Allier ! » reprend-on donc deux minutes plus tard, en franchissant la dernière barrière du parking. A l'arrière, Yann précise : « direction Chapeauroux ! ». Puis il ajoute « et si vous êtes sages, en arrivant je vous raconte l'histoire du Roi de l'Allier » avant de sombrer dans un profond sommeil.

Le soleil est déjà haut et la pluie battante affrontée pendant les premières heures par Denis en conducteur solitaire est déjà séchée lorsque nous apercevons pour la première fois l'Allier, non loin d'Issoire. Le temps d'abreuver le camion et de faire le plein de vivres pour ceux qui ont oublié leur pique-nique, et nous sommes repartis : la partie de l'Allier que nous longeons n'est ni assez belle ni assez pentue pour nous. L'objectif du jour, c'est Chapeauroux → Pont d'Alleyras, rien de moins que le plus beau parcours de l'Allier.

A peine arrivés au point d'embarquement (localisé du premier coup - à un demi-tour près), tout le petit monde se précipite sur Yann pour lui demander l'histoire du Roi de l'Allier. Taratata : nous n'aurons droit à notre histoire qu'une fois sur l'eau. Yann prétexte une bouche pleine qui l'empêche de parler et dégaine un saucisson local qui fait patienter tout le monde. Une fois repus, on songe à embarquer. Négociation sur les couleurs de pagaie et le nombre de couches pour ne pas avoir froid. Vérification sur la carte du point de rendez-vous avec Denis, qui persiste dans sa journée volant. Synchronisation des montres : « il est quinze heures trente, rendez-vous dans deux heures à Pont d'Alleyras, au camping rive droite ! » lance Yann.

Et c'est parti : cinq kayaks s'élancent sur une eau limpide et chantante à la découverte des gorges de l'Allier. Une eau chantante, parce que basse. Et des rochers taquins. Parce que toujours à la même hauteur… Marie et Julie en font les frais, avec quelques cravates pas toujours assorties du bisou qu'il faudrait. Cela ne nous empêche pas de lever les yeux et de profiter des couleurs flamboyantes de l'automne. On se croirait au Canada. Enfin, sur les plus belles photos de l'office du tourisme canadien. Cela ne nous empêche pas non plus de nous remémorer la promesse de Yann, et de réclamer notre histoire, pour occuper les planiols.

« Vous savez ce qu'est un tacon ? » demande Yann sans sourciller.
« Euh... toi-même ? » hasarde un élève au fond du groupe.
« Bon, d'accord, je vois que le niveau n'est pas plus élevé qu'avec des ados. Un tacon, c'est un jeune saumon. Ce n'est plus un alevin avec sa poche vitelline, mais un jeune de quelques mois, voire quelques années. Et déjà un solide prédateur des rivières. Cinq à vingt centimètres, tout en vivacité : ça te gobe une mouche en plein vol ! Mais attention : pas celle du pêcheur ! C'est protégé, le saumon. La truite... qui lui ressemble comme deux gouttes d'eau... on peut la pêcher, mais pas le tacon. Faut dire qu'il n'y en a plus beaucoup dans l'Allier. Et que les pauvres tacons ne sont pas au bout de leurs peines s'ils veulent renouveler l'espèce : à peine six pour cent d'entre eux atteindront la mer pour s'y développer. Et seulement dix pour cent de ceux-là pourront se reproduire ! »

« La mer ? Mais qu'est-ce qu'ils vont faire là-bas ? C'est pas assez beau ici ? De vrais paysages de carte postale ! Feuilles rousses, feuilles rouges, feuilles brunes, feuilles jaunes, falaises et ciel pommelé... » demandent en cœur les kayakistes.
« Certes, mes enfants, mais je ne suis pas sûr que le saumon soit aussi sensible que vous aux paysages qui l'entourent. Ce qui l'intéresse, c'est plutôt la bouffe »
« Hein, la bouffe ? Mais ici il y a de la super charcutaille, de l'aligot, et du fromage du Velay ! »

« Ouais, trêve de plaisanterie : pour un prédateur aquatique, l'Atlantique Nord est beaucoup plus accueillant que l'Allier : bien plus de crevettes à gober, températures beaucoup plus stables. C'est pas compliqué, un saumon dans l'Allier, ça ne dépasse pas les vingt centimètres, comme une malheureuse petite truite, et sitôt arrivé sur les zones de nourrissement dans l'Atlantique, ça prend rien de moins que 3 kilos par an ! Mais nous n'en sommes pas encore là. Notre tacon chasse tranquillement dans l'Allier depuis un à deux ans lorsque soudain, il se transforme : il perd son joli bariolage coloré à la mode fario pour prendre une tenue de camouflage marin couleur thon, il s'allonge, se regroupe en banc, et de prépare pour sa première aventure : la dévalaison. Petit tacon est devenu smolt. Tout ça sous l'influence de phénomènes endocriniens déclenchés par l'approche du printemps. Et en particulier une grande sensibilité de notre jeune saumon à la photopériode. »

« La quoi ? Je croyais que les paysages ne l'intéressaient pas. Il fait des photos, maintenant ? »
« Ouais, c'est ça, poursuit Yann sans se décourager, la photopériode, c'est la durée quotidienne d'éclairement par le soleil. »
« Euh, à propos Yann, risque Marie depuis l'arrière du groupe, tu ne trouves pas qu'il commence à faire sombre, là ? Tu crois qu'on est bientôt arrivés à Pont d'Alleyras ? Ça fait bien deux heures qu'on est partis, mais on est encore dans des gorges, on ne voit pas de maisons, et je commence à avoir du mal à distinguer le haut des coteaux qui nous entourent. »

On se regarde dans le groupe ; chacun se souvient soudain malgré lui qu'il n'y a aucune route dans les gorges pour que Denis vienne nous chercher avant Alleyras, et guère plus de chemin pour rentrer à pied, que c'est la nouvelle lune et que le ciel est de toute façon couvert, que l'on a changé d'heure la semaine dernière et que le soleil se couche donc une heure plus tôt, que Denis à l'arrivée va s'inquiéter, que le gardien du gîte nous attend pour 19 :30, que la navigation après 19 :00 n'est pas autorisée, mais que pour autant il ne faut pas compter sur la gendarmerie pour venir nous récupérer ici et qu'il aurait bien aimé avoir une bière à l'apéro ce soir et un lit cette nuit.
Mais chacun fait semblant d'y croire lorsque Yann affirme que l'arrivée est « dans quelques virages ».
Une chauve-souris tournoyant au-dessus de l'eau n'entame pas les sourires confiants que tous ont décidé d'afficher.
On continue donc vaillamment. Le groupe se resserre, pour être sûr de ne pas perdre de vue le kayakiste de devant.

Julie s'offre un bain de minuit peu avant que l'on aperçoive une première maison. Avec une lumière. Et une ombre. Nous la saluons. Elle nous répond que nous sommes encore à un bon quart d'heure de Pont d'Alleyras. On voit encore le bout de son nez, alors on continue. Et ça paie : alors que la nuit est depuis quelques centaines de mètres devenue officiellement noire, une rangée de lampadaires apparaît en rive gauche, au loin. A l'unanimité, on s'arrête là pour traverser le pré et rejoindre la route, qui est même bordée par un hameau de Pont-d'Alleyras. Renseignement pris, Denis nous attend à huit cents mètres. Fin de l'aventure.

Au dîner, les conversations tournent étonnamment davantage autour des trente minutes les plus sombres que sur les teintes de pourpre des feuilles des hêtres des gorges. Puis ne tournent plus beaucoup, car tout le monde pique du nez dans son assiette. On file au lit, parce que demain, un askiste averti en vaut deux : nous partons au lever du soleil.

Samedi

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Au pied du barrage de Naussac, nous évaluons le niveau de l'Allier : au plus bas pour ce que nous allons faire aujourd'hui. Pas une goutte ne sourd du barrage de Naussac, nous allons naviguer à 100% sur débit naturel. Mais on fait le pari que ce sera suffisant. Alors plouf, les moins frileux se mettent à l'eau pendant que Marie et Olivier retournent au chaud dans le camion. Rendez-vous dans une à deux heures au niveau de l'ancien barrage de St-Etienne-du-Vigan.

Et pendant la descente, à la demande générale, Yann reprend l'histoire du Roi de l'Allier. « Est-ce que tout le monde a une bonne giclée ? » interroge-t-il.
Puis, voyant que ça hésite à répondre dans les rangs, il précise : « c'est qu'il va falloir sauter le barrage. Et on est comme les smolts : il nous faut une bonne giclée pour bien descendre. C'est qu'il fait ses sept mètres de haut, le barrage de St-Etienne-du-Vigan ! Alors on va commencer par travailler les stops et les reprises dans le parcours calme de ce matin, histoire d'être sûrs que tout le monde s'arrête avant le barrage… »

C'est un groupe très appliqué ce matin-là qui slalome entre les pleureurs et soigne ses stops en pensant au barrage. Mais Yann finit par expliquer : « comme il ne servait plus beaucoup, ce barrage, et comme c'était un obstacle quasi-infranchissable pour les saumons, on l'a fait exploser dans les années 1990. Alors pas de panique, ce que nous allons franchir ne mesure plus qu'un peu plus d'un mètre. »

On y arrive effectivement. Et ça passe effectivement : un joli S dans les vestiges du barrage. La jonction se fait avec Marie et Olivier, et Olivier prend le relais de Julie.

« Bravo : on est dans les temps ! s'exclame Yann alors que le petit groupe repart, direction Pont-de-Jonchères. Vous savez pourquoi c'est aussi important pour le jeune smolt de ne pas être en retard dans sa descente ? C'est parce que le saumon supporte très mal les hautes températures. Dès que l'eau atteint les 20°C, il sue à grosses gouttes au moindre effort, et finit le ventre en l'air si les choses persistent. Si bien qu'il lui faut absolument éviter de se trouver entre Vichy et l'estuaire pendant le mois de juillet, sous peine de devoir passer l'été à l'ombre, en espérant survivre aux canicules. Alors la dévalaison, c'est la course contre la montre. Près de mille kilomètres à parcourir quelques mois. Et ça, en subissant encore une transformation : c'est qu'à l'arrivée, l'eau est salée. Il faut adapter branchies et système digestif pour résister au sel. Le saumon de rivière achève de se transformer en vrai marin, pour aussitôt attaquer une grande traversée : direction le Groenland ou les Îles Féroé, pour s'en mettre plein la panse. Tiens, on arrive à la triple chute, je vais me mettre en sécu en bas. »

La triple chute porte très mal son nom : une seule chute dans le groupe. Rien qui puisse entamer l'enthousiasme du groupe pour l'histoire de Yann :
« Et c'est là-bas qu'il retrouve ses copains les saumons canadiens ? » demande ainsi Antoine en attrapant la corde que lui lance Yann.
« Exactement, répond Yann en tirant Antoine dans le contre. D'ailleurs, c'est la même espèce. Pour autant, ils ne se mélangent pas beaucoup. Chacun a ses aires de nourrissement. Et surtout, chacun s'en retourne dans sa rivière natale pour se reproduire. Car le saumon qui est né dans l'Allier se reproduit dans l'Allier. Vers le mois de novembre... décembre. »

Ce que nous confirment Marie et Julie à notre arrivée à Pont-de-Jonchères : un représentant d'une association locale a failli les dévorer toutes crues pour cause de kayakisme patenté. La navigation est interdite pendant la fraie des saumons et des truites, leur a-t-il affirmé, arrêté préfectoral à l'appui. Les deux courageuses askistes ont heureusement su le faire rentrer dans sa coquille, lui démontrant que de toute évidence elles ne faisaient pas de kayak, puisqu'ils étaient en train de discuter bien au sec sur le bord de la route, et que la présence d'une remorque à kayak à l'arrière de leur véhicule garé au bord de l'un des meilleurs passages de l'Allier restait une présomption insuffisante pour les condamner.
Arborant leur plus innocent sourire, elles avaient donc tempéré le trouble-fête [sans même avoir à regarder dans les petites lignes de l'arrêté pour y voir que la navigation « pour l'entraînement des clubs » est autorisée, et que nous étions donc dans notre plein droit NDLA].

Pas refroidis... et réchauffés par un bon thé... trois askistes décident de poursuivre la journée jusqu'à Chapeauroux, pendant qu'Antoine juge qu'il revêtirait bien de confortables habits secs plutôt que d'aller se confronter à cette partie réputée encore plus difficile. Et de fait, il sera peu question de saumons durant cette descente. On s'applique. On repère. On décide même de porter une partie de l'ex-infran qui nous semble hors de portée. S'il y avait plus d'eau, on passerait sans problème, se convainc-t-on mutuellement, mais là, ce S serré avec un truc qui ressemble à un siphon à la sortie et pas trop de possibilité de mettre une sécu, bof, c'est pas tentant.

Il nous reste quand même quelques beaux passages rendus encore plus sinueux par les basses eaux, de bons planiols pour profiter du paysage, et des rapides sympas pour improviser des boarder-cross où les plus offensifs ne sont pas toujours les premiers en bas, la faute aux pleureurs…

A Chapeauroux, la jonction se fait à l'heure prévue au dernier pointage et bien avant le coucher du soleil. Les kayakistes avertis que nous sommes décident de préférer un retour au bercail et une bière à une nouvelle tentative de parcours de Chapeauroux -> Pont d'Alleyras en course avec le soleil. Demain, il nous reste encore des parcours à découvrir ; et l'histoire de notre saumon n'est pas terminée !

Dimanche

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Le dimanche est l'occasion d'un premier exploit collectif : départ du camion... gite nettoyé, affaires chargées... à 8 :10 du matin. Un record. C'est qu'il y aura un peu de route de soir, alors pour profiter de la journée, il ne faut pas traîner.

Ça ne traîne pas sur l'eau non plus : sitôt embarqué en aval du barrage de Monistrol-d'Allier, nous constatons que nous profitons aujourd'hui d'un débit tout à fait correct. Ça pousse même sur les plats. Il faut s'accrocher derrière Yann pour l'entendre nous raconter le retour du saumon jusqu'aux sources de l'Allier : « au bout de quelques années en mer, lorsqu'il estime qu'il a suffisamment grandi et grossi, et que la saison s'y prête, le saumon quitte les zones de nourissement direction le pays des vertes années. Mais ce n'est pas le retour de l'enfant prodigue. C'est un prince largement enrichi qui remonte aux sources. Car notre animal pèse maintenant cinq à dix kilos et mesure pas loin d'un mètre. Cinq à dix kilos qui ne vont pourtant plus guère faire fuir ses proies, car notre ami a tout bonnement cessé de s'alimenter. Il n'a plus qu'une idée en tête : remonter sa rivière natale et s'y reproduire. Et là, amis kayakistes, vous pouvez en prendre de la graine. Car à la remontaison, le saumon est le roi du contre-courant, le champion du bac, et aussi l'auteur de ces célèbres sauts qui lui permettent de franchir les seuils. Prenons un exemple : vous voyez le rapide devant nous. C'est le Trou du Curé. Et bien, pour le saumon qui remonte, c'est de la craquenille. Remonté d'un bond. Quant à nous, on va le passer à droite, parce qu'à gauche en général ça rappelle un peu. Allez, suivez-moi ! »

« Mais dis-nous, Yann, interroge quelques secondes plus tard Antoine dont la tête surnage du rappel, comment après toutes ces années au grand large le saumon retrouve-t-il sa rivière ? Et comment depuis St-Nazaire remonte-t-il jusqu'à Monistrol sans se tromper à aucun embranchement ? »

« Tout simplement parce que l'eau de l'Allier a bien meilleur goût ! Répond Yann en tirant le bateau d'Antoine sur la berge pendant que l'intéressé nage vers le bord. Ou du moins, parce que chaque rivière a une composition chimique légèrement différente, et que le saumon est capable de les reconnaître ! »
« Incroyable ! Ponctue Antoine en rembarquant. ».

« Mais ce n'est pas tout de savoir où l'on veut aller et de savoir sauter les seuils et franchir les rapides : il faut aussi survivre aux obstacles mis en place par l'Homme : la pêche... maintenant interdite... et les barrages, qui même dotés d'une passe à poissons ou d'un ascenseur restent des obstacles fatigants. Et le ralentissent. Or le saumon fait à nouveau la course contre la montre : comme à la dévalaison, il faut qu'il ait quitté la partie plate de la Loire et de l'Allier avant l'été. Sous peine d'être à nouveau bloqué par la température de l'eau. Si elle atteint 20°C, tout effort lui est à nouveau interdit. Et a fortiori celui de remonter le courant. Notre prince ou princesse charmante sera condamné à attendre tout l'été à l'ombre, et cette fois... sans manger ! Car le saumon qui a perdu l'habitude de manger sur les premiers mois de remontaison ne saura pas s'y remettre même s'il doit patienter tout l'été. Ça ne lui vient tout simplement pas à l'idée !

Mais si tout se passe bien, notre saumon arrive sur son lieu de reproduction avant les chaleurs estivales. Ne croyez pas pour autant que les amours commencent instantanément ! Mais je vous raconterai cela plus tard, car pour notre part je vois que nous arrivons au rapide de la Baraque à Ponnet. Vous me suivez, on passe à gauche du gros rocher »

« Mais dis-nous Yann, demande en passant près du gros rocher Antoine qu'un esquimautage presque réussi maintient un temps en suspens hors de l'eau, tu ne nous avais pas dit que la baraque à poney était le dernier rapide du tronçon ? Après celui de la roche qui pleure ? »
br/> « Si, tu as raison, répond Yann une fois Antoine revenu à la surface, nous sommes allés plus vite que prévu. Le précédent rapide devait donc être celui de la roche qui pleure. Ça explique qu'on soit passé dans le rappel, qui est de l'autre côté sur ce rapide ! Qu'à cela ne tienne : ça nous a rafraîchis. Il est temps de pagayer un peu, on a un bon kilomètre de plat devant nous avant de rejoindre les filles qui piaffent à Prades » [si d'aucuns cherchent encore des miettes de vérité dans ce récit, qu'ils se rassurent, personne n'est passé dans aucun rappel, NDLR]

A Prades, sur une plage ensoleillée et au pied des plus grandes orgues volcaniques du monde (enfin, d'Auvergne, pour le moins), un taboulé amélioré et du thé chaud réconfortent tout le monde avant la grande expédition jusqu'à Langeac.

Sur ce tronçon plus calme, Yann se disperse un peu dans son éloquence. Le saumon est oublié au profit de la formation géologique des orgues basaltiques, de la construction au XIIème siècle de la chapelle de Ste-Marie-des-Chazes qui borde la rivière et n'est accessible qu'en kayak ou par un chemin, des moines rouges de Chanteuges qui terrorisèrent la région au Moyen-Âge, et du rythme cardiaque du martin pêcheur qui nous fait un instant l'honneur de son éclair bleu acier, si bien que ce compte rendu de sortie déjà obèse exploserait s'il fallait tout y retranscrire. Tant est si bien, aussi, que la petite troupe, la tête perdue dans les vieilles pierres qui bordent la rivière et les vieilles feuilles qui commencent à y tomber, va son train de sénateur, et s'aperçoit peu à peu qu'il sera plus raisonnable de s'arrêter à mi-parcours, à Chanteuges. A condition que le village soit doté d'un bar.

C'est bien le cas... même s'il est en travaux... et c'est en terrasse et autour de chocolats chauds que Yann achève l'histoire du Roi de l'Allier :
« car notre ami n'aime décidément pas l'été. Il ne fonctionne vraiment correctement que lorsque l'eau tourne autour de dix à douze degrés. Après sa fantastique remontée printanière, fi des rapides amours précipitées des hirondelles : le saumon attendra jusqu'à novembre, ou décembre s'il le faut, pour s'accoupler. Et ce, toujours sans manger, comme tout amant passionné qui se respecte. [le masculin est utilisé ici pour sacrifier aux règles de la grammaire, mais il va de soi que la femelle fait de même, NDLR]. Lorsque enfin la température de l'eau a suffisamment baissé, la femelle choisit un banc de gravier et y pond rien moins que dix mille œufs pendant qu'un ou plusieurs mâles éjaculent au hasard du courant quelques millilitres de sperme. Et hop, c'est torché ! La descendance du Roi de l'Allier est assurée, il peut mourir en paix. Ce qu'il s'empresse de faire. »

« Tu ne nous avais pas dit qu'elle allait se finir si tragiquement, ton histoire, s'étonne Denis la larme à l'oeil »

« Et encore, on n'a pas encore tiré le bilan de toute cette débauche d'énergie : car sur tous ces œufs, seules quelques centaines vont devenir tacons au début du printemps. Comme je vous l'ai dit avant-hier, un tacon sur six seulement va prendre le chemin de la mer. Et parmi eux seul un sur dix va revenir jusqu'à une frayère. Si bien que toute cette histoire n'aura produit que plus ou moins deux saumons reproducteurs à partir de deux saumons reproducteurs. On est pas près de pouvoir se remettre à pêcher du saumon dans l'Allier !

« Heureusement, un programme d'élevage et de réintroduction ainsi que des améliorations sur les barrages permettent depuis une dizaine d'années d'augmenter les chances des saumons de l'Allier et de la Guartempe et de reconstituer peu à peu les stocks. Il y en aurait maintenant à peu près huit cents chaque années sur le haut Allier. C'est pas grand chose, mais c'est mieux que les ours des Pyrénées. D'ailleurs, dans les Pyrénées aussi il y a des saumons. D'autres souches, nées dans l'Adour et qui retournent se reproduire dans l'Adour. Et qui se portent mieux parce que l'Adour est beaucoup moins long et beaucoup moins fatigant à remonter que l'Allier : là-bas, les saumons arrivent couramment à faire plusieurs allers et retours jusqu'à la mer et à se reproduire plusieurs fois dans une vie... Promis, la prochaine fois, je vous emmène voir les saumons dans les Pyrénées ! »

Après ça, Yann n'eut guère de mal à obtenir le silence sur la route du retour, chacun rêvant qui de parcourir l'Allier de sa source à son embouchure tel le saumon en dévalaison, qui d'aller surfer sur les gaves des Pyrénées parmi les bondissants saumons en remontaison, et il déposa tout le monde à 23 :30 à la base. [la rumeur dit que le retour fut plutôt mené tambour battant, un chœur enthousiaste ayant animé le parcours, mais nous manquons d'informations objectives sur le sujet.]

Merci à la Fondation Saumon et en particulier la Salmoniculture du Haut Allier pour les informations sur le saumon sauvage de l'Allier. Pour plus de détails lors de vos prochaines vacances à Chanteuges : 04 71 74 05 51.

Pour ceux qui veulent vraiment savoir ce qui s'est passé pendant ces trois belles journées sur l'Allier, il y a aussi les photos !

OlivierC, et les photos de Mary.

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